Pour le bonheur d’une femme

Pendant des années, je n’ai pu m’empêcher d’aimer cette charmante femme nommée Hélène. Je l’ai vu grandir, telle une fleur s’épanouissant à la venue du printemps. Son regard angélique, sa grâce, son petit sourire enjoué ont été la source ou j’ai puisé mon bonheur. Avec désolation, le jour de son mariage, je réalisai qu’elle ignorait ma simple existence. Chaque matin, lui servant son café au restaurant, je tentais de lui faire comprendre à quel point je l’aimais. Jamais, ne serait-ce qu’une fois, elle ne l’a remarqué.


Malgré son mariage, elle ne changea pas ses habitudes, venant chaque matin déjeuner au restaurant auquel je travaillais. Puis vînt le jour où j’appris le décès de son mari. Je vis soudainement la mort qui m’avait autrefois répugné sous un nouveau jour. Le décès de cet homme m’offrait une deuxième chance. Après tout, Hélène était encore jeune, à peine avait-elle entamé ses vingt et un ans. Mais ce matin là, la femme qui entra au restaurant n’était pas la même. Les cernes sous ses yeux, les larmes sur ses joues, son regard abattu, me firent comprendre l’étendu de sa souffrance. Pourrait-elle aimer à nouveau ?


Je vis cette femme dépérir de jour en jour. Sa grâce qui m’avait autrefois séduite avait disparue. Son mouchoir à la main, elle se déplaçait maintenant tel un corps sans âme attendant que la mort vienne la chercher. Pauvre femme, elle avait besoin d’aide, cela m’était évident. Mais comment l’aborder sans risquer de la brusquer ?

Vînt le jour ou enfin l’occasion se présenta. Distraite ne regardant pas devant elle, Hélène trébucha, tombant à plat ventre devant mes pieds. Ce ne pouvait être autre chose que le destin. Je me penchai pour l’aider à se relever. Je vis son magnifique visage prendre un teint rouge vif, puis le coin de sa bouche se redressa pour laisser échapper un rire amère.

-J’aurais très bien pu me relever toute seule, s’empressa t-elle de me dire.

-Je n’en doute pas un instant chère dame.

Étonnamment, elle se jeta dans mes bras et se mit à pleurer. Je ne pouvais demander mieux. Elle avait besoin d’aide et je saurais lui en apporter. Je l’invitai donc chez moi. Un refus ne m’aurait pas étonné, mais à mon grand plaisir elle accepta.

Pendant des heures, elle parla sans s’arrêter. Les yeux inondés de larmes, elle me raconta la courte histoire de son mariage. Je brûlai de jalousie. Pourquoi avait-il fallu que cet homme existe ? Pourquoi n’était-ce pas moi qu’elle aimait ainsi ? Je compris alors qu’elle pourrait être heureuse à nouveau un jour. Ce ne serait peut-être pas avec ma présence à ses côtés, mais je lui offrirais d’une autre façon ce bonheur qu’elle méritait. C’est avec cette certitude que j’appuyai sur la détente, regardant son corps s’effondrer sur le tapis rouge de mon appartement qui devenu, a partir de ce jour, un repaire macabre imprégné par l’odeur de la mort.


Cette femme n’avait pas besoin de moi pour être heureuse. Non, elle avait besoin de lui. Je savais que maintenant elle était heureuse, puisqu’une fois au ciel, elle l’avait retrouvé…

Nigthspirit